jeudi, novembre 21, 2024
Chronique rédigée par Maria Chraïbi
Chronique rédigée par Maria Chraïbi
Journaliste et chroniqueuse.

Les filles, j’ai un truc à vous dire !

Bienvenue dans le récit d’une femme qui essaye de se frayer un chemin dans le monde numérique infesté d’algorithmes. Revenons quelques 500K en arrière avant que je ne décide de plonger dans l’univers magique et tellement yummy, funny, ..y, des aspirants influenceurs.

Les influenceurs Silver, Gold et Platinum où le selfie est plus sacré que La Joconde de Vinci et le contenu bankable lettre par lettre. Enfin, hashtag par hashtag. Appelez-moi comme vous le souhaitez : « Neyla32 », « Majorette2024 » ou encore « Do.le.do.il.a.bon.dos » parce que je suis à mes heures, Directrice Artistique d’une marque internationale de matelas. Franchement, mon nom et mon identité virtuelle ont bien peu de résonnance dans ce monde pixelisé. Dans l’univers incroyable de Méta ce qui importe, c’est d’entretenir le mystère : Instagram, c’est ma nouvelle famille sans mon nom de famille. Original, non ? Mes likes valent mieux qu’un simple : « Coucou, tu vas bien ? ». J’ai à peine le temps de liker les copines, imaginez le stress ! Quant à mon identité cool et mystérieuse, elle est beaucoup plus importante que les taxes et les impôts. J’aime les smoothies, la soupe Miso, le yoga dans le désert – en semaine je m’organise – la mode underground non genrée, photographier les pistes d’atterrissage, les palaces aux quatre coins du monde en claquettes et faire au moins 50 heures d’avions, de sport et de cuisine par mois. Tout ça pour vous offrir des images inédites de salades Gambas en tutus saumonés ou des photos de ma chambre à coucher qu’un universitaire de renom, ne s’offrira jamais même à quelques années de la retraite. Tout ça, en réalité c’est pour vous ! D’ailleurs pour vous offrir le meilleur, j’ai déjà deux voyages de prévu : vous découvrirez toutes les images, tranquillement installés chez vous en jogging, pendant le ramadan.

Que voulez-vous, je suis une jeune femme altruiste et généreuse, j’aime faire rêver ma grande famille de followers dans des robes de Red Carpet, sur la plage au coucher de soleil.

J’adore vous faire vivre à travers moi, la réciproque étant plutôt quelque peu frustrante voire impossible : c’est tout moi : my story, ma vie, mon cœur et mes coups de cœur entre deux poses vernies et un afterwork « improvisé » où je dégaine environ 100… dirhams pour un outfit minimaliste, dont les anagrammes de luxe peuvent se lire à plus de cent mètres sur mon sac, et autour de mon cou.

Généralement, ma tenue, colorée, ultra-avant-gardiste – j’adore le bermuda l’hiver et l’effet de velours d’une fourrure sur mes pieds – ne serait pas complète sans ma panoplie de mini-sacs interchangeables et mes russian nails dont je suis super fière : ils sont si pointus qu’ils pourraient potentiellement porter secours à un serrurier. Bref, ma vie est comblée, c’est une vraie « carte postale ». Tout irait encore mieux si je n’avais pas à décrypter continuellement l’agenda d’une certaine Miss Diamond. C’est une nouvelle Influenceuse artificielle ! Plus que moi, comment-est-ce possible ? Miss Diamond grignote chaque jour de mon espace vital et envahit chaque recoin de l’internet avec malice et patience. Je suis encore jetlaguée de mon dernier séjour alors qu’elle ne dort jamais et qu’elle a le sourire gratuit en permanence. C’est LA model face que je m’épuise à suivre toute la nuit.

Même mon coach sportif à domicile m’a conseillé une cure de Moringa, alors que Miss Diamond ne dort jamais et qu’elle semble avoir été sculptée par Elon Musk en personne.

Zéro effort, zéro make-up alors que je passe beaucoup de temps à trouver l’angle parfait mais… naturel bien sûr. Je ne me laisserais pas abattre, ça non. Qui sait, il est peut-être temps d’apprendre à parler binaire ! Dépitée, déçue, j’ai finalement décidé de publier toutes mes histoires : les photos ratées, les problèmes de connexion, mon petit orteil qui a cogné contre la table en marbre du salon, mon caramel à la truffe qui a empoisonné les voisins, ma brûlure au fer à lisser et ma gastro. J’ai même voulu reproduire la recette des small tacos à la roquette et des ramen aux 4 fromages mais les tacos ont dégouliné sur la nappe en Swarowski et les ramen ressemblaient plutôt à une fondue savoyarde. La vérité c’est que je ne peux pas rivaliser avec Miss Diamond mais ce n’est pas si grave au final. Je n’ai plus envie de plaire à tout le monde. En me trompant de hashtag la semaine dernière, j’ai embarqué sans le vouloir de nouveaux followers passionnés de tricots. C’est pas glamour mais je n’ai plus besoin de caméraman, de filtres et de fer à lisser. Et vous savez quoi ? Rien n’est grave très longtemps sur Instagram. J’ai perdu beaucoup de followers mais je me sens mieux. Plus humaine aussi. J’avais simplement oublié que je ne suis pas programmée pour plaire à tout le monde. En 2024, c’est peut-être la seule chose qui vaille vraiment la peine d’être suivie.

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